Le combat d’un artisan face aux grands constructeurs s’apparente souvent à celui de David contre Goliath. C’est sans doute la raison qui pousse l’équipe WM à se détourner de son objectif en 1986. Plutôt que la victoire, c’est le record de vitesse qui est visé : « Opération 400 », tel est le nom de la mission fixée par les patrons Welter et Meunier (WM). -WM, pour Gérard Welter et Michel Meunier. Cette équipe est née en 1969 de la réunion de deux amis passionnés travaillant au centre d'études de Peugeot. ils s'exercèrent d'abord sur base Peugeot 204, avant de songer aux 24 Heures du Mans en 1976 -L'année 1980 marque un tournant important pour WM avec le soutien affiché du constructeur Peugeot De 1982 à 1986, les WM ne brillent guère au Mans. Malgré le nouveau V6 2.8L turbo et quelques faits d'armes (en 1984 Roger Dorchy prendra par deux fois la tête de la course), les abandons sont encore trop fréquents. D’année en année, pour WM, les résultats se font de plus en plus décevants. Des tensions surgissent entre les responsables de l’écurie. Les objectifs changent. Le nouveau dessein de Welter, c’est de franchir les 400 km/h dans la ligne droite des Hunaudières, au Mans. Une vitesse encore jamais atteinte. -Naît la P87. Surbaissée, allongée, l’aileron à l’horizontale et les roues carénées : elle est faite pour fendre l’air ! équipé du V6 PRV 3.0L 24V biturbo elle developpe 910 ch avec la pression max. -Un matin du printemps 1987, François Migault la pousse à 416 km/h entre St Quentin et Laon sur une portion d’autoroute fraîchement asphaltée mais pas encore ouverte à la circulation. L’exploit fait sensation au 20 heures de TF1. Il ne reste qu’à le rééditer sur les 6 kilomètres des Hunaudières, la légendaire ligne droite du circuit des 24 Heures du Mans. -En juin pourtant, c’est la stupeur : le Mesta de la gendarmerie ne relève « que » 381 km/h. Les aérodynamiciens d’Heuliez peuvent retourner à leurs planches à dessin. « La route était très bosselée. Le comportement de la voiture était scabreux et le radar avait été positionné trop près de la courbe, au moment où l’on ralentissait » -Douze mois plus tard, rebelote : le jeudi 9 juin 1988, la nouvelle P88 plafonne à 387 km/h. la veille du départ,on se rend compte que le radar des forces de l’ordre ne serait pas calibré pour mesurer de telles vitesses ! -Samedi 11 juin, la course commence mal pour la WM numéro 51. Après plus de 3 heures passées aux stands, la décision est prise de sacrifier la course au profit d’une ultime tentative de record. Les mollettes des deux turbos sont tournées à fond pour augmenter la pression du 3 litres Peugeot qui, ainsi gavé en air, délivre 910 chevaux ! Dorchy: « La nouvelle tentative de record a été un peu improvisée. Juste avant de prendre mon relais, en début de soirée, Vincent (Soulignac, le team manager de WM, n.d.l.r) m’explique que l’on ne pourra pas aller au bout de la course : on sait que le moteur ne tiendra pas. Je n’étais pas super chaud pour tenter le record mais j’ai accepté pour faire plaisir à l’équipe. Je monte dans la voiture et je pousse la pression de turbo à fond, puisque la consommation et la fiabilité ne sont plus un souci » -A 20h46, la WM Peugeot n°51 sort du virage du tertre rouge et aborde les 5.700 m des Hunaudières. Coincée entre deux rangées d’arbres, une interminable ligne droite, marquée par un léger coude sur la droite au bout de 4.500 m (« on arrive lancé à près de 400 km/h. On tape dans les freins, c’est obligé. Cette courbe se passe à 350, 360 km/h »). En temps normal, il s’agit de la N138, empruntée par les camions et les habitants du coin. « Je mets le pied au plancher et je prie le Bon Dieu pour que ça se passe bien. La nationale venait d’être refaite, c’était un véritable billard. Du coup, ça paraissait moins dangereux que l’année précédente. Je voulais juste remplir mon contrat en minimisant les risques » La flèche verte sort du Virage du Tertre Rouge et s’enfonce entre les deux rangées d’arbres bordant l’interminable ligne droite. Quelques secondes plus tard, elle est flashée à 407 km/h ! -La vitesse retenue sera finalement de 405 km/h… Le chiffre de 405 n'est pas un hasard. ce nombre fut volontairement abaissé à 405, les commerciaux de Peugeot, partenaire de WM, en avaient décidé ainsi. La Peugeot du même nom était en effet commercialisée depuis peu, et cela constituait un argument marketing fort. Eprouvée par cette terrible épreuve, l’auto ne passera pas la nuit. Qu’importe, elle est déjà entrée au Panthéon des voitures de course. Les deux chicanes des Hunaudières, érigées en 1990, protègeront son précieux record qui, 25 ans plus tard, n'aura toujours pas été approché. -parmi les autres pilotes WM,il y avait aussi un certain Jean-Daniel Raulet. il raconte que lors des essais,il aurait atteint la vitesse de 416 km/h.... "-Sur l’antenne de France Bleu Maine il y a peu de temps, vous avez mentionné que vous aviez réalisé une performance exceptionnelle au cours des essais des 24 Heures du Mans 1988. En dehors de quelques auditeurs Sarthois, peu de gens connaissent votre record de vitesse. Pouvez-vous nous en dire plus ?" "Effectivement lors des essais le mercredi soir, j’ai roulé à 416 km/h dans le cadre de l’objectif 400. J’étais le plus ancien, je faisais tous les essais de développement des voitures, j’avais toute la confiance de l’équipe car à ces vitesses-là, c’est extrêmement délicat à piloter. La voiture a été terminée sur la piste. Je faisais les tours un à un en repassant par les stands pour vérifier que tout se passait bien. A chaque tour j’allais de plus en plus vite et de plus en plus vite. On ne pouvait pas se lancer directement comme ça, impossible, c’était beaucoup trop dangereux. Nous avons retiré les 2 rétroviseurs, le balai d’essuie-glace et nous avons scotché les portes." "-Avez-vous monté des pneus spéciaux ?" "C’était des pneus ordinaires. Nous avions complétement déchargé la voiture au niveau aéro puisque l’appui est l’ennemi de la vitesse. En configuration de course dans la ligne droite on atteignait 385 km/h avec 600 kg d’appui sur l’essieu arrière. On avait donc positionné l’aileron arrière en négatif pour que la voiture se déleste. Les pneus qui sont en général autour de 75 degrés collent et sont une résistance au roulement. Sans appui, le pneu se dilatait et s’arrondissait par la force centrifuge et nous n’avions plus qu’une toute petite surface de contact avec la piste, environ 7,5 cm, comme un pneu de moto. Avec cette configuration, la marge d’erreur n’existe pas. Dans la ligne droite il était interdit de changer de côté sinon la voiture aurait décollée. On ne croirait pas mais la ligne droite est comme çà (en mimant un geste de tôle ondulée). En se dilatant, le développement du pneu augmente. Nous avons pu refaire les calculs. Nous avions un radar dans la ligne droite et il y avait aussi celui de l’Aco. Je prenais 6.200 tours en cinquième avec pont et boite longue ce qui représentait 416 km/h soit 115,5 mètres par seconde."